Psychiatrie en Afrique : levée des préjugés

Article : Psychiatrie en Afrique : levée des préjugés
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14 décembre 2012

Psychiatrie en Afrique : levée des préjugés

Fann Dakar
Devant la Clinique de Psychiatrie Moussa Diop, CHNU Fann Dakar.                 NathyK ©

Lorsque j’ai annoncé à mon entourage que j’allais étudier la psychiatrie, mes proches et connaissances se sont inquiétés à divers degrés et m’ont posé des tas de questions. Ce sont toujours les mêmes interrogations qui revenaient. Le plus drôle, c’est que quand je croyais avoir fini de calmer les appréhensions des plus anxieux, je me suis vue de nouveau interrogée par mes nouveaux collègues aspirant-psychiatres sur mes motivations à me lancer dans cette branche (heureusement que cette fois c’était pour sourire à la fin et me partager leurs expériences). J’en ai conclu que la psychiatrie dans son ensemble, et tout ce qui tourne autour, est encore mal connue de la population générale, du personnel de la santé et même de certains psychiatres (dans ce dernier cas, c’est paradoxal mais c’est vrai).

C’est également une science encore en plein développement, et beaucoup de recherches sont en cours pour mieux la cerner et l’apprivoiser. Ma deuxième observation était que les gens ont peur des « fous » et des psychiatres, et ils ont surtout peur que les psychiatres ne deviennent « fous » dans leur tentative de comprendre la « folie » dont souffrent leurs malades.

Il est clair que ce qui est inconnu fait peur. Tout comme on a peur de la mort, du noir, on panique à l’idée de devenir « fou ». En plus d’être un sujet tabou, la maladie mentale est un sujet de honte. Les malades mentaux sont incompris, discriminés et abandonnés. Les familles se sentent parfois impuissantes, parfois handicapées, et souvent les malades finissent errants ou pire, se suicident. Les raisons de ces faits sont multiples et nécessitent une étude très soutenue – dans plusieurs domaines – enrichie d’une enquête, ce qui n’est clairement pas l’objectif de ce texte. Mon souci immédiat est de sensibiliser un maximum de personnes à reconnaître l’importance de la santé mentale. Je préfère donc me pencher sur 5 points principaux en vue de répondre au questionnement fréquent de l’Africain sur la psychiatrie et de son utilité dans notre continent.

1/ La psychiatrie, qu’est ce que c’est ?

Généralement, il y a une grande confusion entre psychiatrie, psychologie, sociologie, philosophie et même médecine traditionnelle (ne riez pas) de telle sorte qu’on ne sait plus ce que c’est. Quelques commentaires pour illustrer mon propos : un intervenant (professionnel de la santé) avait proposé sur la page Facebook des Médecins du Cameroun, que les psychiatres devraient travailler de concert avec les tradipraticiens, et un autre avait avoué que lorsque les malades présentant des troubles d’ordre psychiatrique arrivaient à l’hôpital, ils n’étaient pas pris au sérieux, beaucoup de professionnels riant de leurs symptômes et certains leur demandant s’ils n’avaient pas trempé dans des pratiques mystiques.

Le mot « psychiatrie », inventé en 1803 par Johann Christian Reil, signifie « étude de l’âme ». La psychiatrie est une spécialité médicale traitant des maladies mentales.

On peut définir la maladie mentale comme un trouble :

  • qui touche au psychisme de l’individu ;
  • qui affecte son comportement et/ou sa pensée ;
  • qui entraine un retentissement important dont une souffrance de l’individu (sur les plans personnel, académique/professionnel, relationnel) et/ou une souffrance de son entourage.

Les causes de ces troubles sont multifactorielles. On peut déceler une participation  génétique, environnementale, carentielle, organique, psychologique, etc.

La psychiatrie est donc une branche à part entière de la médecine. Son appareil de référence est l’appareil psychique (énoncé par Freud) qui se manifeste physiquement via le système neurologique (le cerveau). Elle analyse l’homme dans sa globalité.

Ainsi on interrogera le patient, la famille même les amis qui accompagnent le patient. On écrira la biographie complète du malade, recherchera ses traits de personnalité et les éléments qui caractérisent sa dynamique familiale. Elle ne se limite pas aux fondements de la clinique mais va au-delà de ce qui est pré-établi, tout simplement parce que le psychisme de l’homme est capable d’une infinité de réactions et de productions. C’est d’ailleurs pour cette raison que chaque jour, on en apprend plus sur cette discipline et qu’il existe des écoles différentes de part leur raisonnement et leur méthodologie.

Puisqu’elle étudie l’homme dans son milieu de vie, elle doit côtoyer les autres disciplines telles que :

  1. La psychologie, qui est la science qui étudie les comportements humains. Le psychologue traite essentiellement par la parole. Il ne prescrit donc pas de médicaments.
  2. La sociologie et l’anthropologie : comprendre l’homme dans son environnement, son mode de vie, les codes de la société à laquelle il appartient, ses tabous, sa culture, sa religion, ses habitudes… permettent une meilleure prise en charge, adaptée à chaque patient. « Faites de la psychiatrie sur mesure » comme le dit bien le Dr Kaufmann, psychiatre et psychanalyste français.
  3. La philosophie, qui est l’une des bases de la psychiatrie. Ce qui est tout à fait compréhensible quand l’on sait que ces deux disciplines touchent au domaine de la pensée. Dr Ludwig Fineltain dit que « le questionnement philosophique promeut une réflexion critique salutaire à l’encontre des doctrines psychiatriques figées ». Et il ajoute que cette implication de la philosophie permet de dépasser les limites de la psychiatrie et d’avancer dans la recherche.

2/ Quelle est son utilité ? Tu vas soigner les fous ?

Selon l’OMS, la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.

L’utilité de la psychiatrie est d’aider le patient à rétablir son équilibre – en lui-même et entre lui et son milieu de vie, de l’aider à souffrir moins, ainsi que son entourage. Nous ne parlons pas toujours de guérison définitive (cela dépend des affections et des facteurs de causalité) mais on croit au moins en une stabilisation.

Le Dr Kaufman parle d’aider le patient à atteindre l’état du « mieux-être ». Si vous arrivez à faire disparaître de l’angoisse chez un patient, vous pouvez vous imaginez son soulagement, sans parler de celui de sa famille !

Les « fous » ne sont pas des êtres dénués de raison contrairement à l’opinion populaire. Certains sont dangereux ou même auteurs de crimes, mais ils représentent une minorité de la population psychiatrique et la plupart du temps, ceux-là sont gardés dans des unités spéciales.

Il y a aussi des schizophrènes qui sont tout à fait stables et qui occupent normalement leurs fonctions professionnelles. Ils peuvent aussi très créatifs. D’où l’intérêt de les aider à une réinsertion sociale. Il n’y a pas que les schizophrènes qui bénéficient de nos soins : il y aussi les maniaco-dépressifs, les autistes, les hystériques, les paranoïaques, les personnes atteintes de troubles obsessionnels compulsifs, de névroses phobiques, de troubles de la personnalité, des toxicomanes… Bref, nous essayons d’apaiser la souffrance des malades et de les aider à re-fonctionner dans la société.

3/ Est-ce que c’est une discipline adaptée au contexte africain ?

Plusieurs symptômes psychiatriques dépassent l’entendement du profane ; si le malade ressent par exemple des hallucinations sous la forme de visions d’êtres effrayants ou d’écoute de propos malveillants, d’impressions de pensées imposées ou même encore de sensations d’attouchements sexuels, il va le plus souvent devenir angoissé, agité, ou tenir un dialogue hallucinatoire.

En Afrique face à un changement de comportement de ce type, l’interprétation « raccourcie » sera de dire que l’individu a été envoûté par un membre de la famille qui le jalouse (surtout si c’était quelqu’un de prospère). Comme vous le savez, une accusation pareille est très lourde de conséquences.

Je fais remarquer que certains psychothérapeutes considèrent les guérisseurs traditionnels comme une sorte de psychanalystes. Encore faudra t-il faire la distinction entre guérisseur et charlatan. Je ne m’aventurerai pas à commenter cette affirmation car cela nécessite que le lecteur ait un prérequis technique. Je dirais juste que la psychanalyse est une filière de la psychothérapie qui n’est qu’un complément thérapeutique (en fonction des indications). Alors, non la pratique de la médecine traditionnelle ne peut remplacer toute la psychiatrie. Cependant, les ethnopsychiatres étudient cette collaboration.

Une autre raison est que ces maux ont une base scientifiquement prouvée, et que les médicaments prescrits agissent sur les neurotransmetteurs des cellules cérébrales. Si nous avons à notre disposition un moyen médical pour stabiliser un patient, alors pourquoi ne pas le faire ? A ce que je sache, la maladie mentale peut affecter n’importe qui. Donc, non la psychiatrie n’est pas une discipline faite uniquement pour les blancs.

4/ Utilisez vous un pendule pour hypnotiser les patients, ou les camisoles comme on voit dans les films ?

Non, nous à l’école de Fann (Dakar), nous ne pratiquons pas ces méthodes qui sont de plus en plus controversées.

5/ Pourquoi n’avoir pas choisi une autre spécialité ?

Une petite anecdote pour répondre à cette question : quand je disais que je vais faire de la psychiatrie, beaucoup entendaient pédiatrie, d’autres me demandaient si je ne pouvais pas faire cardiologie ou néphrologie, une autre personne m’a fait la remarque que ce n’était pas une « spécialité sexy ». Un dernier groupe m’a dit que je ne ferai certainement pas fortune en Afrique car d’après eux il n’y a pas de demande, les Africains n’y croient pas et en plus c’est un truc de blanc.

Bref, j’ai mis tout ça sur le compte de la peur du mystère psychiatrique. Le fait d’avoir pris le temps d’écrire autant de lignes centrées sur cette matière explique ma passion. J’aime les challenges. J’aime aller au-delà… Je veux comprendre l’homme. Je veux aider ne serait-ce qu’une personne à mieux se sentir dans sa peau. Je suis amoureuse de la psychiatrie !

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NathyK

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