« Je pars à l’aventure »

Article : « Je pars à l’aventure »
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6 novembre 2012

« Je pars à l’aventure »

Voyage
Traversée des continents.                                                                  NathyK ©

« Je pars à l’aventure » sont les mots que j’entendais dire par mon feu oncle, il y a près de 15 années aujourd’hui. À l’époque, il s’envolait pour l’Europe, les travelers cheques que ma mère lui avait fournis, en poche, sans idées fixes de ce qu’il allait accomplir. Mais il fallait qu’il s’en aille, chercher la vie ailleurs. S’ouvrir à de meilleures opportunités, aussi disait-il, « je m’en vais me battre ».

Ainsi, il s’en alla comme des milliers d’africains chaque année. Certains y vont pour continuer des études dans des grandes universités d’outre-mer, dans l’espoir d’être engagés dans des multinationales plus tard ou du moins de devenir indépendants dès leur départ grâce à des petits boulots estudiantins et d’ainsi libérer leurs parents d’un lourd poids.

Pour les parents, le sacrifice de collecter ou parfois d’emprunter quelques millions de francs cfa à la tontine (institution de microfinance régie par une association amicale dans le but de s’entraider dans la solidarité) ou à certains membres haut placés dans la famille en vaut la peine.

On se sacrifie pour que « l’enfant réussisse ». Quand il s’en va, on lui dit : « comporte-toi bien », « ne prends pas le chemin de la facilité », « on compte sur toi », « fais nous honneur ».

Mamadou, Fatou, André, Blaise, Jeanne et Christine s’en vont en Europe, en Amérique, parfois dans d’autres pays africains ou même en Russie, à Chypre, dans l’espoir d’un avenir meilleur que ne peut pas toujours leur offrir un pays plongé dans la corruption, le népotisme, un pays en manque d’infrastructures pour le nombre de bacheliers et même de licenciés qui en ressortent chaque année.

Les plus chanceux vont donc se battre ailleurs pour devenir des « quelqu’un » plus tard, des personnes éduquées, respectées dans la famille et sur qui on peut compter financièrement.

Mais il y a aussi ces autres, qui arrivent par des moyens corrects ou détournés à être retenus dans les grandes écoles de l’état et peuvent se vanter plus tard d’être devenus des médecins, des magistrats, des militaires, des journalistes, des ingénieurs, des douaniers, des inspecteurs du trésor dans un pays qui est le leur, où ils ne craignent pas la police de l’immigration, où ils ne sortent pas très tôt le matin dans le froid pour livrer des journaux, où ils mangent à satiété les succulents mets locaux et ne vivent pas une aventure dure et incertaine. Ce sont les futurs fonctionnaires. L’avenir du pays est entre leurs mains.

Il y a aussi cette autre classe qui malgré le fait d’être diplômée du pays ne parvient pas à trouver du travail. Ils ont été à l’université d’état pendant trois, quatre ou cinq ans mais à la fin il faut bien vivre de quelque chose.

C’est là où la débrouillardise triomphe dans un pays pris en otage depuis fort longtemps par les plus forts, « les boss ». Ils deviennent donc des cultivateurs, des taximen, des vendeurs à la sauvette (sauveteurs), des buyam-sellams (revendeurs i.e. buy and sell), des ouvriers, des pompistes (employés à la station service), des propriétaires de call box. Pour ceux-là, l’aventure se vit à domicile ! « Le dehors est dur, on se bat » comme on dit au pays.

Et enfin, il y a cette dernière catégorie composée de femmes et d’hommes d’âge mur ou avancé, qui attendent tout simplement des mains généreuses, des « fafios », des « dollars », des « z’euros », des « benjamins ». Ceux-là n’ont plus la force de résister. Ils vivent au jour le jour, au bon gré du « dépannage ».

La misère a pris le dessus. Ils attendent un changement de régime. Ils se souviennent du temps où on avait beaucoup de billets en guise de salaire (juste avec un C.E.P.E. pour diplôme), du temps où avec 25 francs, on achetait de l’huile, du savon et des beignets, du temps où l’argent avait encore de la valeur, du temps où le gouvernement était bon et travailler à la fonction publique était un honneur.

Le seul luxe qui leur reste, c’est de dire aux voisins qu’ils ont de la famille à l’étranger ou un frère haut placé. Pour ceux-là, il est trop tard, il n’y a plus d’espoir, l’aventure est finie.

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NathyK

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