Focus sur Florian Ngimbis, le Kongosseur

Article : Focus sur Florian Ngimbis, le Kongosseur
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20 avril 2013

Focus sur Florian Ngimbis, le Kongosseur

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Florian Ngimbis                                                                                   NathyK ©

Il y a tout juste deux semaines que j’annonçais à une amie que j’étais retenue pour huit jours de formation en initiation au journalisme et aux outils numériques organisée par Mondoblog-RFI ici à Dakar. Il n’y a pas eu de : « ma copine, je suis contente pour toi ohhh ». Non ! Sa réaction immédiate et frénétique a été plutôt : « alors Ngimbis, il sera là ??? ».

Nous l’avons compris depuis longtemps, Florian Ngimbis, Prix du meilleur blog francophone The Bobs 2012, a des milliers (voire plus) de fans dans le monde et c’est tout naturellement que nous sommes partis à sa rencontre, ce mois d’Avril 2013 à Dakar.

Pour ceux qui n’ont jamais rencontré le Kongosseur friand de lianes et de Castel, c’est un petit modèle, aux yeux tout ronds. Ces yeux doux, malicieux, rieurs, rêveurs font toute la particularité de Florian. La vivacité de ses yeux n’ont d’égal que la profondeur de son rire. C’est à travers ces fenêtres qu’il scrute le monde alentour et le ridiculise !

Il est très ouvert, blagueur, mais parfois très calme. Bref, c’est un Monsieur à la tête bien faite qui ne se prend pas trop au sérieux. C’est donc sans gêne qu’il a accepté de se livrer à vous fidèles lecteurs. Florian le dit lui-même : il ne peut rien nous refuser !

Alors, Florian présente toi à tes lecteurs :

Florian Ngimbis, blogueur. Je blogue sur la plate-forme Mondoblog. Mon blog s’appelle Kamer Kongossa.

Peux-tu nous dévoiler ton parcours académique et professionnel ?

J’ai un parcours assez atypique. J’ai commencé par la fac mais je crois que je n’avais pas les atomes crochus pour la fac . J’ai fait trois ou quatre filières (Histoire, Lettres, Sociologie et Anthropologie) qui ne m’ont pas convaincu. Du coup, j’ai abandonné et je me suis lancé dans la vie active : les petits métiers, etc. Ça ne m’a pas convaincu non plus.

Et j’ai décidé de faire le concours de l’ESTIC qui est l’Ecole des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication. La plus grande école du pays en terme de communication et j’ai été reçu. Et là, j’ai opté pour une filière qui n’est pas du journalisme, qui n’en est même pas du tout : c’est l’information documentaire.

Et après ma licence, je me suis lancé dans la vie active, et je me suis spécialisé en informatique et ingenieurie documentaire. J’ai ouvert dernièrement une boite de Social Management c’est-à-dire gestion des réseaux sociaux. Ça c’est avec l’expérience que m’ont donné plusieurs formations que j’ai effectué dans le domaine et surtout avec ma notoriété de blogueur. Je me suis lancé dedans, je suis devenu Community Manager. Nous faisons de la prestation en matière de communication digitale sur internet et les réseaux sociaux et ça marche plutôt bien.

J’ai cru lire sur ton profil Twitter que tu es un « écrivaillon ». Que signifie ce terme ?

Je cultive un peu l’autodérision. En 2008, j’ai été Prix du jeune écrivain francophone et beaucoup de gens disent que je pourrais écrire et me positionner comme un grand auteur par rapport au Cameroun qui est mon pays.

Moi franchement, ça me fait rigoler. Je ne dis pas que c’est impossible mais je suis dans une posture d’autodérision donc du coup si on me demande si je suis écrivain, je dis : « ouais, je suis un écrivain, un gratte-papier, je m’essaie à produire des textes, etc ».

Il faut quand même dire qu’en ce moment, j’ai un roman qui est en préparation et qui normalement devrait être terminé dans les mois qui viennent.

De quoi va parler ce roman ?

Mon roman sera un peu, comme mes articles de blog, qui sont des chroniques, des instantanés de la vie camerounaise… mais très court vraiment. Des histoires synthétiques pour captiver le lecteur tout en évitant de le saouler.

Mon roman sera une espèce de prolongement, une histoire véritable. Ce sera écrit dans le même style. Mais sur la longueur, on aura des personnages compacts, consistants et la chaîne narrative sera plus dense. C’est ça !

Je ne peux pas donner des détails. Je n’aime pas trop parler de mes projets. Mais si vous lisez les articles, on aura des histoires dans le genre. Pas une seule, mais plusieurs petites histoires de ce genre encastrées dans une longue chaîne narrative. Ce sera très intéressant, je pense.

Très intéressant tout ça ! Tu as déjà un titre ?

Non, je n’ai pas encore de titre. Je galère vraiment pour trouver des titres, même pour mes articles. C’est pour ça que j’ai inventé un concept qui consiste à mettre la formule : « je suis camerounais, une virgule et l’objet du billet ». Je galère vraiment en titre, ça me prend parfois des heures, des jours carrément pour trouver le titre d’un article.

Et finalement ce concept-là, il marche bien… parce que dès que l’on voit ce titre : je suis camerounais,… on dit, c’est Florian qui a encore frappé et tout le monde se rue sur le blog !

(Rires) Oui c’est un peu comme un label déjà. Je l’ai fait au départ par paresse pour ne pas avoir à trouver des titres, des vrais titres. Mais je me suis rendu compte que non seulement quand on lisait ce titre, on avait déjà l’identité même du blog qui ressortait parce qu’on savait que c’est ce blog là, c’est Kamer Kongossa de Florian et en plus ça me simplifiait la tâche et je suis content de savoir que ça marche.

Il y a des textes que tu as écris et publiés bien avant. Peux-tu nous parler de ces textes-là ?

Oui, j’ai écris des textes avant. J’ai surtout écris une nouvelle avant, comme je l’ai dit, c’était lauréat du prix du jeune écrivain. Mais en réalité, la nouvelle avec laquelle j’ai gagné le prix s’appelle Photo-finish et si vous la lisez, vous allez vous rendre compte qu’elle n’est pas du tout dans la même veine que ce que je fais maintenant.

C’était bien écrit, j’imagine que c’était bien, mais ce n’est pas vraiment pas moi ! Je crois qu’à cette période, j’étais à une espèce de carrefour et je cherchais mon style, ma voie et c’est en commençant petit à petit avec mes chroniques que je me suis senti plus à l’aise.

La nouvelle pour le prix, m’a valu six mois d’écriture or mes textes, mes chroniques que je rédige actuellement, je les rédige en 1h au maximum. Je suis plus à l’aise, plus libéré quand j’écris maintenant. Je ne me contrains pas, je m’amuse !

Alors, quel est le contenu de votre blog ? Parle-nous de ce contenu très particulier.

Kamer Kongossa, je le veux la vitrine du Cameroun. Nous avons un pays formidable ; le Cameroun, qu’on appelle l’Afrique en miniature. Je crois que les choses qui se passent dans notre pays, la culture de notre pays, les tares même de ce pays devrait être relayées. Le monde gagnerait à connaître le Cameroun !

C’est dans cette posture que je me suis positionné. Du coup, je raconte des petites scènes de vie, les aventures qui m’arrivent, parce que j’ai une vie assez mouvementée. Je vis à Yaoundé, une ville qui ne dort presque pas. Du coup, il m’arrive plein de trucs, des trucs banals pour un camerounais, mais qui mis à ma sauce et avec ma manière de raconter donnent des textes qui plaisent aux gens.

Voilà ! Donc je n’invente rien. Tous mes textes sont des choses qui m’arrivent mais je ne voudrais pas rester dans un aspect ludique simplement. Je voudrais insuffler cette pédagogie parce que je voudrais voir mon pays avancer. Donc, au delà du rire, au-delà de plein de choses que je raconte et qui amuse les gens, j’ai un message que je passe, une espèce d’engagement que j’assume et qui me rend fier de mes textes.

En réalité, moi, ce pourquoi j’écris en fait, ce n’est pas seulement pour apporter cette petite joie aux gens, parce qu’il y a des gens qui me disent : « quand je lis ton texte, je l’attends comme un comprimé et quand je le lis, il fait ma journée, il fait ma semaine », mais ce n’est pas seulement ça !

C’est faire avancer la société camerounaise. C’est ça aussi mon but. Et j’ai des textes plus ou moins politiques que je publie aussi, des textes vraiment engagés, là où on ne rit pas. Du coup (le énième 🙂 )… Kamer Kongossa, c’est le Cameroun, rien d’autre que le Cameroun !

Justement, tu te positionnes dans ton blog comme un anti-Biyahiste, un anti-Roi Lion. Est-ce que cela ne t’a pas valu quelques désagréments ?

Pour l’instant, non. Je l’ai écris dans un billet un jour ; chez nous, la liberté est un peu comme la liberté du chien qui aboie et la caravane continue de passer. On a retiré à la presse, aux médias, cette notion de quatrième pouvoir, cette substance-là où on a beau écrire et ça ne change pas grand-chose. Mais, c’est un peu différent avec le blog et les réseaux sociaux, parce que nos dirigeants, notre Roi-Lion en l’occurrence, n’aiment pas avoir cette mauvaise visibilité qu’on exporte or les médias camerounais se vendent à l’intérieur du Cameroun mais un blog, il est lu dans le monde entier ! Et cette mauvaise publicité parfois, quand elle est relayée à grande échelle dans le monde, gène nos états.

Je reçois des mails souvent très bizarres, c’est vrai. Des mails des gens qui me disent : « tu ne devrais pas faire ça,…, ce n’est pas bon, tu exposes notre pays, etc. ». Je reçois aussi les mails des gens qui s’inquiètent pour moi, qui me disent : « attention ! Tu dis les choses de façon trop juste, trop crue, on ne sait pas, quelque chose peut t’arriver… ».

Mais concrètement, je n’ai jamais eu de problèmes avec qui que ce soit. Surtout que je prends des précautions. Parce que, je ne m’attaque pas aux personnes, je ne cite pas de noms. Je m’attaque à des concepts, à des idées : la mal-gouvernance, la corruption, etc.

Je ne m’attaque pas frontalement à des gens… c’est vrai que le Roi-Lion, je le titille de temps à autre, ça s’est bien connu. Mais j’évite de m’attaquer aux gens. C’est ça qui fait que parfois, on se retrouve dans des situations assez bizarres.

J’ai pu remarquer dernièrement que tu as créé un nouveau site : www.kamer-kongossa.com Pourquoi cette double représentation ? Est-ce pour les publicités ou l’argent des publicités ? (rires)

Ouais, il y a un peu de ça. C’est-à-dire que la plate-forme à laquelle on appartient, Mondoblog n’est pas une plate-forme publicitaire, ça veut dire qu’on ne peut pas y mettre de la publicité. On ne peut pas y gagner des sous. Or, j’arrive à un niveau de notoriété ou de visibilité où les gens m’interpellent, me disent : « on veut faire des insertions publicitaires, on veut annoncer ».

Il est difficile pour un blogueur de gagner de l’argent avec son blog mais si ça arrive, mieux vaut en profiter, du coup, j’ai créé un prolongement de Kamer Kongossa qui est kamer-kongossa.com, le site web.

Là, ça ne se passe pas très mal mais je l’ai mis en standby parce que je n’étais pas prêt déjà. J’ai fait un lancement qui n’était pas un vrai lancement. Je dû le remettre en standby pour le peaufiner, le retravailler, notamment au niveau du design, c’est-à-dire, l’affichage sur les téléphones portables, les tablettes, etc. Mais le site sera bien lancé.

Si Mondoblog m’a donné l’opportunité de me faire un nom, je ne vois pas pourquoi, je ne prolongerai pas tout ça en gagnant de l’argent. On est des blogueurs, c’est vrai, on est aussi des idéalistes mais on est des hommes avant tout. Ce n’est qu’un cadeau que m’a donné cette visibilité.

Est-ce que tu comptes faire migrer tous les billets que tu avais déjà publiés sur ton blog vers ton site ?

Non, non, non ! Mondoblog un jour, Mondoblog toujours…

Je veux dire, les dupliquer ?

En fait, il y a un problème avec les moteurs de recherche : ils n’aiment pas ce qu’on appelle les « duplicate contents ». Ça veut dire que lorsque l’on a deux billets identiques sur deux plateformes, il y a l’un des sites web qui baisse en terme de référencement.

Donc, je produis des billets pour le blog, je produis d’autres billets pour le site web. Je crois que j’ai de la matière à profusion, donc du coup ça ne pose pas un problème de migration ou alors d’intégration des billets sur l’une ou l’autre des plate-formes.

Quel est le billet que tu affectionnes le plus ?

(Rires) C’est difficile à dire parce que les billets que j’affectionne ne sont pas ceux qui ont le plus plu au public. Les billets personnels, où je retrace une certaine période de ma vie me plaisent beaucoup. Notamment, ceux de ma période d’adolescence au lycée, etc. Je crois que le billet que j’affectionne le plus : il y a le premier billet [sur le blog], « tout doux, le chien » [encore appelé les chiens de la dévaluation], mais il y a aussi le billet « Maître, mon Maître ».

J’ai un de mes maîtres de l’école primaire que je vénérais carrément et je racontais une aventure que j’avais eue avec lui. Il m’a appelé, dans une classe supérieure, j’étais en CE1, pour corriger un problème d’un élève de CM2 par ce que lui, il enseignait au CM2.

Du coup là, je tremblais, j’avais peur, etc. mais il m’a menacé, j’ai résolu le problème mais il avait promis de fesser le garçon si je résolvais ce problème et le garçon a reçu sa fessée sauf que moi quand je suis rentré, le garçon m’attendait à un couloir là, il m’a fessé quatre plus que ce qu’il avait reçu !

Et c’est un souvenir… quand j’ai appris qu’il est décédé, ça m’a touché ! C’est le billet le plus personnel que j’ai écris. Je ne me suis pas livré dans le billet c’est vrai, mais en l’écrivant, j’avais l’image de cet homme que je vénérais carrément : Mr Noah. Et c’est des pareilles choses qui me marquent ! Les autres billets, je les aime bien mais c’est celui là que j’ai écris avec le plus d’émotion.

Dans tes billets, tu traites de plusieurs problématiques ; dernièrement, tu as parlé des fous sur les rues de Yaoundé, de Douala, du Cameroun. J’avais d’ailleurs vu ce fou en action [celui du billet] dans mon enfance. Tu parles également de la Camerounaise Des Eaux [CDE],…, tu parles vraiment de divers thèmes. Quel est le problème du Cameroun qui te touche le plus ?

Le problème du Cameroun qui me touche le plus, c’est cette absence d’espoir. C’est-à-dire toute cette jeunesse qui est condamnée à ne plus espérer. Ça fait trente ans avec un même régime, trente ans de promesse, trente ans d’immobilisme !

Parce que les gens se disent : « voilà un régime qui est trentenaire » mais ils ne se rendent pas compte qu’il y a des jeunes gens qui sont aussi trentenaires, des gens qui n’ont connu que ce régime et nous avons carrément une génération perdue, une génération de jeunes gens qui ne savent pas ils iront parce que les conditions matérielles, culturelles… qu’on fasse dans la culture, la littérature, dans l’entreprenariat, il y a des blocages, énormément de blocages pour un pays qui a autant de ressources et c’est ça le problème.

On a l’impression que les 30 ans de régime de notre président actuel sont en fait trente ans de descente aux enfers et ceux qui en pâtissent le plus, c’est la jeunesse. Moi, je me soucie de ces jeunes, de ceux qui sont comme moi parce que j’en suis aussi une victime. De ceux qui sont comme moi, qui n’ont pas de visibilité, qui n’ont pas d’ouverture, qui sont carrément des laissés-pour-compte, à qui on promet chaque année des lendemains meilleurs qui n’arrivent jamais. C’est pour eux que j’écris ! C’est pour eux surtout que j’écris.

Je voyage beaucoup, je bavarde sur des plateaux télés, radio etc. C’est pour que de tous ces jeunes, j’en inspire au moins certains. On est dans la formation Mondoblog, il y a beaucoup qui sont devenus blogueurs parce qu’ils lisaient mes textes. Pour moi, c’est la meilleure des rétributions qui soient.

Faire comprendre à tous ces jeunes camerounais que rien n’est impossible, qu’on peut en y croyant. Mais aussi faire comprendre à ceux qui sont en haut, qu’il y a des blocages. Ce n’est pas parce qu’on en parle pas que nous n’en sommes pas conscients et c’est ça que je dénonce dans mes textes !

Et si tu avais un conseil à donner à la jeunesse camerounaise, ce serait lequel ?

Rêvez, il faut rêver. Malgré toutes les difficultés qu’on vit au quotidien, si on réussit en nous enlever la capacité de rêver, alors on est foutu ! Il faut rêver. Moi, je suis un grand rêveur, je rêve tous les jours et certains des rêves que l’ont fait se concrétisent sans même que l’on s’y attende. Il faut rêver !

En tant que grand-frère mondoblogueur, quelle astuce donnerais-tu aux jeunes blogueurs comme nous, et surtout aux jeunes blogueurs camerounais qui commencent à être très actifs dans la blogosphère ?

Être franc, être soi même ! Trouver sa voie. Le blog, c’est comme la voie du karma, la voie du Bouddha, etc. Il faut trouver sa voix. Lorsque l’on trouve sa voix, on est plus franc, on est franc envers soi-même mais surtout ceux qui vous lisent sentent que vous êtes francs. Quand on dit les choses qu’on connait, quand on dit les choses qu’on aime, on les dit toujours bien.

Ça ne prend pas beaucoup de temps quand on se met dans cette posture pour qu’on soit connu, pour qu’on soit respecté. Peu importe, on ne cherche pas la notoriété en termes de millions de personnes qui vous lisent. On voudrait que même les trente qui vous lisent, qu’ils sentent qu’ils font partie de vous, de votre blog, de votre communauté, que le message passe, c’est exactement ça. Il faut trouver sa voie et laisser parler ses émotions, c’est tout !

Pour découvrir le dernier mot du Kongosseur à ses lecteurs, écouter l’enregistrement audio ci-dessous :

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- NathyK : « Merci Florian, c’était Super ! »
- Florian Ngimbis : « Tu sais que je ne peux rien te refuser ! »

Rires.

Lire le dernier Kongossa de Dakar ici.

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Propos recueillis par NathyK.

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