15 août 2014

Où sont les psychiatres africains ?

Le 12 août 2014, le monde célébrait la Journée internationale de la jeunesse. La santé mentale était à l’honneur, abordée sous l’angle de la discrimination et la stigmatisation, pour une fois ! La revue médicale suisse du 18 septembre 2013 classait la santé mentale comme « un objectif de santé publique hautement prioritaire » et avec raison, lorsqu’on sait que plus de 450 millions de personnes dans le monde souffrent de troubles mentaux. Ce serait intéressant de savoir le pourcentage qu’occupent les jeunes dans ce chiffre élevé d’autant plus qu’en Afrique plus de la moitié de la population est jeune. Mais d’abord, c’est quoi un trouble mental, mieux une « maladie mentale » ou – plus intéressant – un « malade mental » ?

Je pose peut-être ces questions sur un ton sarcastique, elles sont pourtant loin d’être anodines et méritent notre pleine attention. Je suis éberluée quand dans l’inconscient universel on considère qu’un malade mental n’est qu’un « fou, quelqu’un qui aurait perdu la raison » mais qu’un dépressif par contre n’en est pas un. Par quel raccourci quelqu’un souffrant de dépression, d’autisme ou de troubles anxieux ne serait-il pas classé dans la catégorie de malade mental ? Est-ce une plaie de dire que quelqu’un est atteint d’une malade physique ? Sinon, pourquoi en faire un tollé quand il s’agit de troubles affectant le système de la pensée ?

Personne n’aime la maladie mentale ! Ça résonne comme un couperet de condamnation. Oui, c’est le clairon de la mort. C’est comme des gens qui se baladent morts-vivants quoi ! « Les fous sont-ils récupérables ? » me demande-t-on souvent d’un air douteux et même si je réponds par l’affirmatif, on me croit à peine. Les hommes d’Etat veulent se dissocier de cette « tare », quitte à abandonner leur progéniture dans le silence angoissant des murs d’hôpitaux. Leurs fils abandonnés à leurs cris qui leur font écho ; ça vaut mieux que d’avoir une réputation entachée. Que répondra-t-on aux amis quand ils demanderont : « De quoi souffre-t-il ? » ou comme on dit chez nous : « Qu’est-ce qu’il a ? ». Comment dire qu’on a engendré un fou ? Si par mégarde, la nouvelle parvient à circuler, dans la diplomatie sociale, on dira qu’il est « fatigué », « surmené » ou « un peu déprimé » – ce dernier passe d’ailleurs mieux. Mais jamais au grand jamais, personne ne devra dire de lui qu’il est un malade mental. Et pourquoi traiter quelqu’un de « malade mental » serait la plus pire insulte qu’il soit ?

Même les étudiants en médecine s’ils le pouvaient se dispenseraient de ce cours de « malchance ». Inutile de préciser que bien des médecins ne veulent rien à voir et rien à faire avec cette spécialité qu’on regarde de loin et qu’on conjure, lui imposant de ne pas dépasser les limites de l’acceptable, sous peine d’être doublement « maudite ». Bref, si ce n’est pas la « magie noire », c’est une honte. L’un ou l’autre, c’est pareil ! Ne dit-on pas que les psychiatres sont fous comme leurs patients ? La maladie mentale serait donc hautement contagieuse selon l’opinion populaire.

Et la fameuse question qui énerve tout le temps : « Tu penses que tu vas trouver du boulot en Afrique ? » Mais, rassurez-vous, il fut un temps où moi aussi j’étais contaminée par les idées du genre : « Les psys, c’est les choses des Blancs. Ce sont eux – les Blancs – qui se suicident tout le temps. Ils font des caprices. Nous, nous sommes forts mentalement. On n’a pas besoin de psychologues… » Et le pédopsychiatre, quelle est son utilité ? Pourquoi les enfants auraient-ils besoin de psychiatre ? Donc les enfants peuvent devenir fous ? D’ailleurs, tu es sûre que tu pourras gagner de l’argent avec ça ? « En tout cas, on va voir nos Gangans* ! Ça doit être un message des ancêtres, même si le pasteur dit qu’il s’agit d’une possession démoniaque… » Bref, c’est tout sauf la maladie mentale !

Les troubles mentaux représentent près de 12 % de la charge de morbidité mondiale et, d’ici à 2020, ils seront responsables de près de 15 % de la perte d’années de vie corrigée de l’incapacité. C’est chez les jeunes adultes, tranche d’âge la plus productive de la population, que cette charge est maximale. Dans les pays en développement, les troubles mentaux risquent d’augmenter de façon disproportionnée dans les décennies à venir. Les personnes atteintes de troubles mentaux sont l’objet de stigmatisation et de discrimination dans toutes les parties du monde.    OMS

Finalement, je me demande comment les Africains pensent résoudre les problèmes des femmes violées de l’est de la RDC, des enfants soldats du Liberia, des familles de réfugiés sud-soudanais, des femmes sexuellement mutilées du Tchad, des jeunes toxicomanes d’Afrique du Sud et même des filles traumatisées de Chibok ? Avec un psychiatre pour 1 million 200 mille habitants pour tout un pays comme le Swaziland et un seul psychiatre au Liberia, alors que la moitié de la population souffre d’état de stress post-traumatique !

D’après les prévisions de l’OMS, la dépression sera en 2020 la deuxième cause d’incapacité dans le monde. Quel sera le pourcentage des jeunes Africains atteints ? Quels impacts sur la rentabilité, l’économie et le développement du continent ? Avec l’ampleur croissante des conflits et du stress, peut-être que la psychose post-traumatique, aussi décrite chez l’Africain, sera définitivement adoptée par les nosologies psychiatriques. À ce moment, où seront les psychiatres d’Afrique pour sauver les jeunes Africains de « l’enfer » de la maladie mentale ?

* Guérisseurs traditionnels
Une pensée pieuse pour le regretté Robin Williams (1951-2014).

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NathyK

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