8 juillet 2014

La mort : une messagère de joie

Colombe
Colombe

Août 2010, Johannesburg 

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Au milieu de personnes de tout âge, de diverses origines et cultures, debout, je récitais, d’une voix haute et claire, une prière en Banen – ma langue maternelle. J’enchainais ensuite avec une courte prière en Swahili, apprise quand j’étais encore une enfant. Le concept était de diversifier autant que possible les prières.

J’avais aimablement accepté de me plier à cet exercice spirituel. Une façon de rendre hommage au défunt oncle de mon amie Mary. À cette profonde atmosphère de dévotion se mêlait la joie contagieuse d’une célébration. En effet, Mary avait ouvert la cérémonie par ces mots : « Welcome everybody to the celebration of the life of my uncle*. »

Des minutes après mon intervention et autres témoignages, la sœur du regretté oncle – la mère de Mary – partageait avec l’assistance, un poème en persan, spécialement rédigé pour la circonstance. C’était bien la première fois que j’assistais à une veillée cérémonie de deuil si sereine et si animée.

Quelques années plus tôt… Février 2007, Yaoundé

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Je quittais Antananarivo pour aller enterrer ma mère. Dans mes bagages, un CD de louange que des amis camerounais m’avaient affectueusement offert, en signe de sollicitude. Le visage souriant, le cœur courageux, la force qui me tenait dépassait ma compréhension. J’aurai bien voulu contaminer cet esprit à mon entourage. Mais que nenni ! Chaque fois que je troquais la musique nasillarde et moche à pleurer par les mélodies douces et apaisantes du gospel, ça ne tenait pas plus de 15 minutes. Les gens s’obstinaient à rester dans la tristesse la plus sinistre ! Je finis par le comprendre.

Novembre 2012, Dakar

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La clinique Moussa Diop qui abrite le service de psychiatrie n’est pas très chic, pour ne pas dire sombre. Travailler en plus en face de la morgue, c’est carrément funeste, me dis-je. Quelquefois, le chemin de la morgue est obstrué par les attroupements. Je me faufile entre les Sénégalais venus pleurer leurs morts récupérer leur corps pour un enterrement express comme il est de coutume dans l’Islam. Ça ressemble plus à une cour de récréation qu’à autre chose. Le noir n’est pas toujours de rigueur. Les pleurs sont plus discrets que les conversations. Il n’y a ni crises d’hystérie, ni syncopes. Le cercueil « de transport » est le seul signe évident qu’il y a eu mort d’homme.

Juin 2014

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La semaine dernière j’ai perdu une tante très chère à Johannesburg [en Afrique, toute personne âgée devient, par le principe du respect, ta tante ou ta mère, ton oncle ou ton père]. C’était la belle-sœur de Mary. Cette nouvelle m’a littéralement choqué. J’ai plusieurs fois pensé aux mots de condoléances que j’adresserai à ses enfants. Chaque fois que j’y songeais, mon regard s’embrumait… jusqu’à ce que je parcoure l’album Facebook de l’enterrement. Surprise ! que de visages souriants, mari, enfants, famille, amis, connaissance, tous ou presque. Mary a encore organisé une veillée de prières. Une amie a mis en ligne un poème dédié à la défunte. J’aurai bien voulu être là pour célébrer, avec toute la communauté [noire, blanche et métisse], la vie de ma tante Shohreh.

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Les Africains en général et les Camerounais en particulier sont très souvent abattus après un décès. Plus tu pleures, plus tu étais attaché au défunt, et tu l’aimais profondément. Dans certaines familles, les « pleureurs » professionnels, pour quelques billets, viennent s’exhiber devant la foule. Ils déclenchent les lamentations à distance du lieu de la veillée, au fur à mesure qu’ils approchent, la cadence se fait plus rapide. Ils crient, ils pleurent, ils chantent, ils pleurent en chantant, ils chantent en pleurant. Atééé, la douleur là est trop forte ! Mais entre deux couplets, ils réclament leur dose d’alcool – question de réconfort. Si au moins, ils connaissaient le défunt.

Dans d’autres cultures comme la mienne, les femmes doivent se couper les cheveux à ras, après le décès de leur époux. Si elles s’y refusent, elles deviendront folles [dixit la tradition ou plutôt les hommes et les femmes qui veulent assujettir leur prochain, sous la menace immuable de la tradition]. Dans plusieurs régions, le veuvage est appliqué. La femme est tenue de porter des vêtements d’une seule couleur, souvent du bleu marine, de la tête aux pieds, pendant des années. Et ça c’est la partie la moins contraignante de l’histoire.

Parce que entre les accusations de meurtre du défunt époux, les confiscations du bien – commun – du couple et le mariage forcé avec le beau-frère qui t’a « hérité », le chemin est encore long pour libérer la femme de toutes ces entraves au nom de la culture et du respect des ancêtres. Les veufs ne sont pas en reste même s’ils sont moins éprouvés. Pour moi, ce type de pratique cloisonne gratuitement les individus déjà éplorés, dans les prisons impitoyables de l’ABUS et de l’IGNORANCE.

Et si on ne pleurait pas nos morts, du moins de façon ostentatoire, cela signifierait qu’ils ne nous sont pas chers ?

Et si les femmes Banen, Bamiléké et autres ne coupaient pas leurs cheveux, deviendraient-elles vraiment folles ?

Et si les veuves refusaient d’obéir à leur belle-famille, cela confirmerait-il les soupçons d’assassinat ?

Une culture qui ne laisse pas de place à la raison et la justice, n’est-elle pas une culture qui tue sa progéniture ? Ce serait comme cette laisse trop serrée, qui au lieu de protéger le chien des dangers de la route et de le maintenir près de son maître bien-aimé, finit par étrangler le cou du pauvre canidé, le privant de sa liberté et de sa vie.

Mon ami et collègue psy Bihabwa me rappelle souvent que : « Face à la mort, l’homme ne pleure pas le défunt, encore moins son départ. Il pleure d’abord sa propre mort. C’est son angoisse face à sa propre mort qui le rattrape. » L’éminent sociologue Lamine Ndiaye, dans son article « Mort et altérité : approche socio-anthropologique d’un phénomène indicible » abonde dans ce sens et explore les différents rites et perceptions de la mort dans les sociétés africaines. C’est notre représentation de la mort qui nous fait pleurer. Si nous pensons que c’est la pire des choses qui existent [ce que je pensais quand j’avais 6 ans et que je voulais être la dernière personne à mourir sur la Terre], alors nous pleurerons jusqu’à la déshydratation.

Il est semé corps animal, il ressuscite corps spirituel. S’il y a un corps animal, il y a aussi un corps spirituel. C’est pourquoi il est écrit : Le premier homme, Adam, devint une âme vivante. Le dernier Adam est devenu un esprit vivifiant. Mais ce qui est spirituel n’est pas le premier, c’est ce qui est animal ; ce qui est spirituel vient ensuite…

1 Corinthiens 15, 45-47

 

N’est-ce pas Jésus le Christ qui disait qu’on laisse les morts [d’esprit] enterrer les morts [physiques]** ? Je crois à la survie de l’esprit après la mort. Je ne crois surtout pas que le « disparu » a disparu à tout jamais sous la poussière de nos pieds, encore moins qu’il « dort » ne serait-ce que pour un temps (sinon pourquoi se tuer à la tâche à observer toutes les leçons de morale sur cette Terre ? pourquoi même avoir été créé ?). Je garde l’espoir des retrouvailles dans l’au-delà. En attendant je prie. Je prie pour la clémence et pour le progrès de l’âme du défunt dans le royaume divin.

De la mort, j’ai fait pour toi une messagère de joie. Pourquoi t’affliges-tu ?

Par cette nouvelle joyeuse et lumineuse, je te salue. Réjouis-toi !

L’esprit Saint t’apporte les bonnes nouvelles de la réunion. Pourquoi es-tu triste ?

Ne t’attriste que si tu es loin de Nous. Ne te réjouis que si tu t’approches et reviens vers Nous.

Tu es mon bien et mon bien ne périt pas. Pourquoi crains-tu de mourir ? Tu es ma lumière et ma lumière ne s’éteint jamais.

Ton paradis, c’est mon amour ; ta demeure céleste c’est d’être uni à Moi.

Extraits des Paroles Cachées.

* Bienvenue à tous, à la célébration de la vie de mon oncle.
** Matthieu 8,21

 

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NathyK

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